Histoire de Franchevelle
Au pays de sainte Vaudre,
de Jean le Connétable
et de Mailly le révolutionnaire :
une petite histoire de Franchevelle
La commune de Franchevelle utilise actuellement des armoiries qui sont une représentation déformée de celles des Mailly, anciens seigneurs du village. Surmontées d’une couronne à cinq tours en principe réservée à Paris, ces armoiries peu sérieuses nécessitent d’être repensées. C’est donc l’occasion idéale pour établir une recherche approfondie sur l’histoire du village. Nous avons pris pour base le Nouveau dictionnaire des communes de la Haute-Saône réalisé par la SALSA , que nous avons cherché à compléter – voire à corriger – en ayant recours au plus grand nombre de publications historiques possibles mentionnant Franchevelle. Ainsi rassemblées, les informations glanées proposent une première synthèse de l’histoire du village, synthèse qui servira, nous l’espérons, de point de départ pour de plus vastes recherches incluant les nombreuses archives ayant trait à l’histoire du village, une histoire qui d’ores et déjà laisse apparaître des personnages hauts en couleurs ! I.
I. Franchevelle avant Franchevelle : un lieu de passage romain
Sur le territoire de Bois-Derrière subsistent les traces d’une voie romaine venant de Luxeuil et se dirigeant en direction de Ronchamp et Belfort .
Des vestiges de voie avaient déjà été repérés au XVIIIe siècle par les érudits locaux ; ils servaient alors de carrière de sable et de gravier : « on passoit l’Ognon dans les environs de Lure ; ensuite elle descendoit du côté de Franchevelle et de Citers, et passoit dans les bois qui sont sur la droite de ces lieux, où l’on en a trouvé des vestiges bien apparents et suivis :
les païsans en ont enlevé l’arène et le gravois, en divers endroits, pour en groiser la nouvelle route de Lure à Luxeuil, laquelle est tracée fort près de la chaussée romaine » . Antique lieu de passage, le territoire de la commune n’a en revanche livré aucune trace d’habitat humain antérieure au Moyen Age.
II. Mystérieuse sainte Vaudre
Avant 1807, Franchevelle dépendait de la paroisse de Quers . L’église actuelle, datant de 184I, est sous le titre de sainte Vaudre, dont le culte, attesté localement depuis le XVIIIe siècle, est probablement bien antérieur. Toutefois, les raisons de l’implantation du culte de sainte Vaudre à Franchevelle demeurent inconnues. Il semble que Franchevelle soit la seule paroisse de France placée sous la protection de cette sainte mystérieuse.
D’après la tradition locale, Vaudre aurait été une des compagnes de sainte Ursule, dont le culte naquit à Cologne suite à la découverte d’une inscription latine du Ve siècle faisant état du massacre de plusieurs martyres et vierges. Le nom d’Ursule, toutefois, n’apparaît pas avant le IXe siècle, tandis que c’est au siècle suivant que le nombre des vierges martyres est fixé à 11000, probablement à cause d’une mauvaise interprétation de l’inscription XIMV, désignant 11 Martyres et Vierges, et compris comme 11000 Vierges.
Bien qu’il existe différentes versions de la légende de sainte Ursule, c’est finalement celle que Jacques de Voragine rapporte dans la Légende dorée au XIIIe siècle qui s’imposa : fille d’un roi breton du IIIe ou IVe siècle, Ursule fut demandée en mariage par un souverain païen, dont elle accepta l’offre à condition qu’il se fasse baptiser et qu’il l’accompagne à Rome en compagnie d’un cortège de onze mille vierges. Après avoir traversé la mer et franchi les Alpes avec succès, la caravane fut reçue par le pape Cyriaque. C’est sur le chemin du retour que les choses se gâtèrent : arrivé à Cologne, le cortège fut massacré par les archers huns qui assiégeaient la ville. Ayant refusé d’épouser le fils du roi des Huns, Ursule fut à son tour sacrifiée.
Né à Cologne, le culte de sainte Ursule connaît un grand succès au Moyen Age, rayonnant en Rhénanie, aux Pays-Bas, en Belgique, dans le nord et l’est de la France, et jusqu’en Italie, à la faveur notamment de la dissémination de ses reliques . Patronne de l’ordre des Ursulines fondé en 1535, sainte Ursule et ses vierges étaient données en exemple de vertu et de chasteté auprès des jeunes filles dont on souhaitait assurer une éducation pieuse. Elles sont célébrées le 21 octobre .
En revanche, nous n’avons trouvé nulle confirmation de la présence d’une sainte Vaudre dans l’escorte d’une sainte Ursule dont l’existence, du reste, semble elle-même bien douteuse. Le prolixe père Hermann Crombach, qui a publié dans son Ursula vindicata, à Cologne, en 1647, le nom d’un très grand nombre de ces vierges, mentionne-t-il Vaudre ?
Cela mériterait vérification, d’autant que l’on sait que Crombach fut en contact avec un autre jésuite, le père Pierre-François Chifflet, hagiographe et historien comtois, tout à fait compétent en la matière . Quoi qu’il en soit, le statut de sainte de Vaudre est pour le moins ambigu : absente des grands dictionnaires hagiographiques, elle possède pourtant une certaine légitimité aux yeux de l’Eglise, puisque Vaudre est attesté comme nom de baptême au XVIIe siècle, et que Mgr Laurent Ganganelli, le futur pape Clément XIV, fut en mesure d’offrir à François Alexis Henrion de Franchevelle des reliques de sainte Vaudre en 1741.
Ce qui est certain, c’est que les traditions locales, au mépris de la biographie habituellement retenue de sainte Ursule, s’attachent à localiser entre Lure et Luxeuil le lieu du martyre de Vaudre. Pour les uns, le massacre de sainte Ursule et de ses compagnes par les Huns vers 451 ou 454 aurait eu lieu à proximité de Franchevelle . Pour les autres, c’est dans un bois proche de Saint-Sauveur que Vaudre aurait été martyrisée. On est bien loin de Cologne !
La légende qui place la mort de sainte Vaudre près de Saint-Sauveur rapporte que cette jeune fille très pieuse gardait ses moutons à proximité des bois, tout en filant. Les Barbares qui avaient envahi la contrée l’aperçurent et décidèrent de s’en prendre à elle : fuyant éperdument au milieu des taillis et des épines, Vaudre chuta à trois reprises dans les bois du Vay de Brest. Sa quenouille, se fichant à chaque fois dans le sol, donna naissance aux trois sources qui firent par la suite l’objet d’un pèlerinage : leurs eaux possédaient des vertus curatives qui diffèrent selon les auteurs : utile contre les fièvres pour les uns, bénéfique pour recouvrer l’usage de ses yeux pour les autres . On ne connaît que des formes très tardives de cette légende, publiées à la fin du XXe siècle . Il faut toutefois noter qu’il existe une nouvelle publiée en 1867, prenant place dans l’ancienne prévôté de Faucogney et librement inspiré de légendes locales, dans lequel J. Morey cite « la fontaine de la sainte bergère , dont les reliques reposent encore dans l’église de Quers » . C’est la plus ancienne trace de cette légende que nous ayons trouvée.
Qu’elle se situe à Franchevelle ou à Saint-Sauveur, la mort de sainte Vaudre est en contradiction avec le récit de la vie de sainte Ursule. C’est donc ailleurs qu’il faut chercher l’explication de cette implantation locale.
Des esprits plus rationalistes ont avancé que les reliques de sainte Vaudre auraient été offertes par Frédéric Barberousse en 1157 à Gislebert de Faucogney, qui les aurait déposées dans une chapelle à Franchevelle. Malheureusement, aucun document ne vient étayer cette hypothèse. Mais il est attesté que Gislebert a bien été un fidèle de l’empereur Frédéric , empereur pour qui Cologne était une ville importante.
Certains historiens ont placé à Franchevelle l’hôpital de lépreuses de Malvernoy, fondé en 1173 in Franca valle par la comtesse Béatrix, épouse de l’empereur Frédéric Barberousse . Cette hypothèse pourrait expliquer la présence des reliques de sainte Vaudre, dans la mesure où sainte Ursule, qui protégeait tout spécialement filles et femmes, était invoquée pour obtenir une bonne mort : elle et ses compagnes sont donc des protectrices toutes désignées pour un hôpital de lépreuses, fondé par une comtesse dont l’époux, empereur germanique, est plus que familier avec le culte de la sainte de Cologne. Malheureusement, cette localisation, bien que présentée parfois comme une certitude, n’est qu’une hypothèse qui n’a jamais été encore confirmée.
Il faut noter toutefois que le culte de Vaudre est attesté dans une aire plus large que Franchevelle : outre la statue de la sainte à Franchevelle, on trouve en effet un autre reliquaire à l’église de Quers, ainsi qu’un bas-relief en bois sculpté et peint figurant la martyre, une palme à la main, dans le transept sud de l’église de Saint-Sauveur. Plus anciennement, on note qu’en 1657, le prénom Vauldre est porté par pas moins de 14 filles et femmes de Luxeuil , et il apparaît également dans plusieurs localités des environs (Froideconche, Saint-Sauveur, Villers-lès-Luxeuil), ce qui atteste de la popularité du culte de cette sainte autour de Luxeuil. En revanche, à la même époque, ce prénom semble totalement absent des autres contrées de Franche-Comté . Faut-il en conclure que le culte de sainte Vaudre fut favorisé par les moines de l’une des deux abbayes ? C’est une possibilité.
L’historien Paul Delsalle, qui s’est lui aussi interrogé sur l’origine de Vaudre, se demande si ce prénom ne serait pas une forme dérivée – et féminisée - de Valbert, dont l’ermitage est tout proche . Cette hypothèse doit toutefois tenir compte du fait que la forme masculine de Vaudre existe : c’est Vaudrey, attesté à Breuche en 1657, forme qui semble attester de l’influence – au minimum phonétique – de la puissante famille comtoise de Vaudrey.
Luxeuil étant un ancien sanctuaire gaulois où des divinités liées aux sources étaient vénérées, on ne peut totalement exclure, à notre sens, une divinité celtique locale qui aurait été christianisée par les moines : lorsqu’il fallut lui conférer une vie chrétienne justifiant sa sainteté, on peut imaginer qu’il ne dut pas être bien difficile de l’inclure parmi les onze mille vierges du cortège d’Ursule, le nombre des martyres étant suffisamment vaste et leur identité suffisamment floue pour qu’il soit aisé d’y introduire une nouvelle venue.
Pour compliquer encore les choses, l’Histoire des diocèses de Besançon et de Saint-Claude, publiée en 1851, indique que Franchevelle est alors une succursale dédiée à sainte Vantrude : au XVIIe siècle, la chapelle aurait dépendu de la paroisse de Quers, avant d’être rattachée à Bouhans . Or Vantrude, tout comme Vaudrue ou Vautrude, sont autant de variantes du nom d’une sainte qui n’a jamais été compagne d’Ursule : il s’agit en effet de sainte Waltrude (Waldetrudis), fêtée le 9 avril . Issue d’une famille princière, Waltrude, après avoir été mariée, entra dans les ordres et fut la première abbesse de Mons en Belgique. Après une vie de dévotion, elle s’éteignit dans son monastère vers 688. Dans l’iconographie, elle est toujours représentée vêtue en abbesse. Elle ne saurait donc être confondue avec Vaudre, qui ne porte pas l’habit ; à Franchevelle, ses reliques sont identifiées par l’inscription : « Sta Valdrea Mart. », et à Saint-Sauveur, elle tient bien la palme de martyre. Or Waltrude n’a jamais été martyrisée. Contrairement à Vaudrue, Vaudre n’est donc pas une forme locale de Waltrude, et les deux saintes ne sauraient être confondues.
Il reste bien peu de souvenirs matériels du culte de Vaudre à Franchevelle, hormis la statue et ses reliques. Avant que l’église ne soit construite, c’est dans le domaine bâti par les Henrion au XVIIIe siècle que se trouvait la chapelle dédiée à la sainte : longeant le mur du parc, en bordure du chemin, elle a malheureusement été démolie après la IIe guerre mondiale. Elle succédait elle-même probablement à un lieu de culte plus ancien, peut-être situé dans l’enceinte du vieux château féodal. Quoi qu’il en soit, il semble que les Henrion, seigneurs de Franchevelle à partir du XVIIe siècle, aient favorisé le culte de Vaudre. N’est-ce pas eux qui bâtirent la chapelle du château ? N’est-ce pas à François Alexis Henrion de Franchevelle que Mgr Laurent Ganganelli, le futur pape Clément XIV, offrit la statue de la sainte en 1741 ? N’est-ce pas sa fille Barbe-Marguerite et son beau-fils Joseph-François-Gabriel-Raphaël de Mailly de Châteaurenaud qui firent réaliser en 1777 le socle à leurs armes, et qui contiendrait un fragment des reliques données par Frédéric Barberousse en 1157 ? Enfin, les Henrion n’étaient-ils pas également, aux XVIIe et XVIIIe siècle, seigneurs de Quers où sont également conservées des reliques de la sainte ? Á coup sûr, l’enquête mérite d’être poursuivie…
Sainte Vaudre, statue à l’église de Franchevelle (cl. Fabrice Barassi).
III. Au temps des chevaliers et des châteaux forts : une « franche velle » dans l’orbite des Faucogney
Une « franche ville » apparaît
Le nom du village apparaît pour la première fois en 1267. En 1278, il est cité sous la forme « La Franchevile » ou « La Franchivile ». Ce nom désigne un domaine agricole ou un village (ville, devenu velle dans les parlers du nord de la Franche-Comté au contact de la Lorraine) « franc », c’est à dire libre ou, plus exactement, bénéficiant d’exemptions fiscales. La présence de l’article précédant le nom suggère une fondation récente : probablement s’agit-il d’un village de défrichement fondé quelques années ou décennies plus tôt par un seigneur soucieux de mettre en valeur des terres jusqu’alors incultes. Il est à noter que les villages voisins d’Adelans, Bouhans et Quers, auxquels s’ajoutent parfois, selon les auteurs, Linexert et Franchevelle, formaient sous l’Ancien régime les « Franches Communes » , une communauté de villages dont les bois bénéficiaient de privilèges. Il semble donc que toute la zone ait bénéficié d’une politique de mise en valeur foncière encouragée par des exemptions fiscales. Au XVIIIe siècle, les particularités juridiques de cette entité étaient matérialisées par un sceau aux armes des Franches Communes, de gueules au chêne d’argent, timbré d’une couronne comtale .
Au sud du village, un tertre de forme triangulaire où le reconnaît des traces de fossés marque l’emplacement de l’ancien château féodal, dénommé Fort de Vougne, qui aurait été détruit au XVIIe siècle. C’était là, au Moyen Age, le siège de la seigneurie de Franchevelle, qui relevait alors de la châtellenie de Faucogney, mais constituait un arrière-fief du comté de Bourgogne .
Jean le Connétable, premier seigneur connu de Franchevelle
En 1267 est cité le connétable Jehan, mari de la dame de Francheville . On ignore de quel lignage était issu ce haut dignitaire, curieusement désigné ici par le nom de la seigneurie de son épouse. Le connétable est alors un officier important du comte de Bourgogne, mais les sources nous livrent peu d’informations sur le contour précis de ses prérogatives, qui semblent avoir été davantage militaires qu’administratives. Il semble également qu’il n’ait pas exercé cette charge de manière continue.
Un document de 1278 nous confirme que le connétable Jean de Francheville est bien lié à l’histoire de Franchevelle. Cette année-là, l’arrière-fief de Franchevelle, tenu par Jean le connétable de Bourgogne, change de suzerain : le 16 janvier 1278, la comtesse Alix de Bourgogne et son époux Philippe de Savoie le donnent à Richard, fils du comte Thierry de Montbéliard. Dès le 1er février de la même année, Richard reprend d’eux en fief. A sa mort deux ans plus tard, le fief retourne à Othon IV, qui a succédé à sa mère Alix en tant que comte de Bourgogne en 1279.
En 1289, « Jean de Francheville », connétable, est à nouveau cité. L’année suivante, en juillet 1290, Aymon IV de Faucogney fait reprise de fief des dîmes de Franchevelle à Othon IV moyennant la cession de l’arrière fief que Jean le connétable devra dorénavant tenir de lui, et non plus du comte Othon.
Peu après, Othon IV donne à son frère Hugues de Bourgogne le fief de Franchevelle tenu par Jean le Connétable en hommage d’Aymon de Faucogney. Le fief, toutefois, demeure mouvant du comte et il est mentionné comme tel dans un dénombrement de 1294.
En 1291 ou 1294, Jean le Connétable, à court d’argent, engage le village de Franchevelle, relevant de Faucogney, à son beau-fils Geoffroy d’Auxelles, issu d’un premier mariage de sa femme, moyennant le prêt de 500 livres de petits tournois. En 1291, Jean le connétable avait déjà engagé auprès de son beau-fils les villages de Saint-Gemain et Rignovelle, relevant eux aussi du fief de Faucogney, avec le consentement d’Aymon IV de Faucogney . Ces transactions trahissent les difficultés financières que connaît Jean le Connétable.
Jean le Connétable ne fut pas toujours un vassal fidèle : participant à la rébellion contre le comte Othon IV de Bourgogne en 1295, il ne peut apposer de sceau en bas de l’acte d’alliance, faute d’en posséder un. Pourtant, il avait fait usage d’un sceau en 1291. Celui-ci aurait-il été confisqué par le comte ?
Les armes de Jean le Connétable, premier seigneur attesté de Franchevelle, ne sont pas plus connues que la famille à laquelle il appartenait. Quant aux sires d’Auxelles, leurs armes étaient d’or à trois fasces de gueules, ou de gueules à trois bandes d’or. La ressemblance avec les armes des sires de Faucogney, d’or à trois bandes de gueules, s’explique probablement par le lien de vassalité qui inféodait les Auxelles aux Faucogney .
Les deux variantes des armes de la famille d’Auxelles (dessin Jean-Paul Fernon)
Les armes des Faucogney (dessin J.-P. Fernon)
Les Faucogney de plus en plus présents
En 1301, c’est au tour de Geoffroy d’Auxelles de remettre le château et le village à Jean II de Faucogney, fils d’Aymon, en gages d’un prêt de 312 livres estevenans. Lorsque la fille de Jean, Agnès, épousa Geoffroy de Beaujeu, elle reçut en dot la seigneurie de Franchevelle. Jean II de Faucogney décéda entre 1317 et 1319.
En 1356, Jean III de Faucogney, le frère d’Agnès, racheta à son beau-frère Geoffroy de Beaujeu le fief de Franchevelle pour 1000 livres. Franchevelle fut dès lors incorporé à la seigneurie de Faucogney. Jean III mourut sans héritier : la terre de Faucogney échut à sa nièce Jeanne, fille de son frère Henri (v. 1312-1360), vicomte de Vesoul, et dernière représentante de la branche aînée des Faucogney après la mort de son père. Jeanne avait épousé en 1370 Henri de Longwy, sire de Rahon. Par testament de 1372, elle légua la terre de Faucogney à son mari ainsi qu’à ses successeurs. Jeanne mourut en 1373, laissant un fils en bas âge, et de nombreuses dettes. C’est ce qui explique que son veuf Henri accepta les propositions du duc de Bourgogne Philippe le Hardi et lui vendit, en 1373 ou 1374, les terres de Faucogney .
IV. Au temps des ducs de Bourgogne et de leurs successeurs, les rois d’Espagne
Les ducs de Bourgogne s’intéressèrent de près à la terre de Faucogney et à la forteresse qui la dominait.
Nouvelles pressions fiscales
La seigneurie de Faucogney constituait pour le duc de Bourgogne « l’une des clefs du Conté de Bourgogne à l’ung des bouts dudist Conté ». Une telle position stratégique impliquait que le château de Faucogney fût puissamment fortifié. Le duc Jean Sans Peur, ordonna par conséquent la réparation et le rétablissement des fortifications, moyennant finances à prélever sur ses sujets de la prévôté. Pour ce faire, il diligenta en 1412 une enquête auprès du bailli d’Amont . Ce dernier, assisté du capitaine de Faucogney, fut chargé de déterminer l’assiette de la nouvelle taxe.
Or si la prévôté de Faucogney était alors « pays et lieu de montagne où il ne vient ne croist vin ni froment mais que ung peu de seigle, navez et millet » , telles n’apparaissaient pas Franchevelle et ses voisines Quers, Adelans, Citers, Dambenoît, qui sont alors les « cinq plus grosses villes, plus riches et plus aisiez de ladite Terre, assises et situées en bon pais et grais, en bon terrein où vient froment et touz blefs, en bon vignoble et ont grant quantité de bois portans glans en tems de paisson lesquelx bois les habitans des dictes ville ont droit de pasturer tant en leurs bois et communaulx qu’es bois de Monseigneur, pour ung denier par porc dont tous les habitans proufitent moult et sont riches » . La description d’une telle prospérité n’était pas sans arrière pensée : elle avait pour but de légitimer l’accroissement de la pression fiscale. Cette nouvelle imposition suscita la colère des communautés visées : les habitants de Quers, Adelans, Citers, Dambenoît et Franchevelle refusèrent de payer. Lorsque les sergents ducaux vinrent saisir les bestiaux et les meubles, la colère se mua en un soulèvement qui fut sévèrement réprimé : sept ou huit mutins furent arrêtés ; le bailli les fit « jetter du bas au fond du crot en prinson… et les a fait tenir et jeûner 2 ou 3 jours senz mengier et senz boire dont ils ont estés en voye de morir » .
Nicole de Corravillers
Dès la fin du XIVe siècle, le duc de Bourgogne concéda ou engagea des fiefs à des seigneurs particuliers, dont Nicole de Corravillers (décédée vers 1468), veuve de Henry Leclerc, prévôt de Faucogney, décédé vers 1426-1427. Le couple, qui avait considérablement accru ses biens, laissa plusieurs filles. L’une d’elle, Catherine, épousa Huguenin de Courbessaint, à qui elle apporta l’office de prévôt de Faucogney.
Les armes des Le Clerc dits Corravillers étaient coupé d’or à trois bandes de gueules, et d’or au lion de gueules armé, lampassé et couronné d’azur . La partie supérieure de ces armoiries, empruntée aux sires de Faucogney, est probablement une allusion à la charge de prévôt de Faucogney.
Armes des Le Clerc de Corravillers (dessin de Jean-Paul Fernon)
Les Courbessaint
Selon toute vraisemblance, la famille de Courbessaint, d’ancienne chevalerie, est originaire d’Alsace, où elle apparaît sous le nom de Kolbesheim . Elle est connue en Franche-Comté depuis au moins le XVe siècle. Á Annegray (commune de La Voivre) sont conservés des objets liturgiques qui seraient aux armes des Courbessaint, provenant de l’ancien prieuré. Selon les sources, ils portaient de gueules au cuissard armé et éperonné d’argent ou d’or, avec des variantes dans le détail.
C’est probablement par le couple formé par Catherine de Corravillers et Huguenin de Courbessaint que la seigneurie de Franchevelle passa, au XVIIe siècle, aux Henrion. On sait en effet que Clément Henrion seigneur de Franchevelle à la fin du XVIIe siècle, était un descendant de Nicole de Corravillers, et qu’il avait hérité, comme on le verra plus loin, d’une partie de la fortune des Courbessaint, dont il avait par ailleurs relevé les armes. Du XIVe au XVIe siècle, les Courbessaint étaient seigneurs du village voisin de Saint-Germain . Leur présence à Franchevelle est donc très probable, mais à confirmer.
Armes des Courbessaint, première moitié du XVIe s, Bibliothèque municipale de Besançon, ms Baverel 110 (cl. Nicolas Vernot)
V. Les Henrion, seigneurs de Franchevelle
La famille Henrion fut seigneur de Franchevelle depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’à la fin du siècle suivant. C’est à elle que l’on doit le château du XVIIIe siècle, détruit par un incendie, à l’exception des communs aujourd’hui occupés par les locaux municipaux. Leur rôle dans l’histoire religieuse de la commune a été, on l’a vu, également important.
Originaire de Faucogney, la famille Henrion s’emploie d’abord au commerce et à des fonctions de basse judicature. Toutefois, son ascension sociale au cours du XVIIe siècle est patente : en 1633, Jean Henrion, de Faucogney, obtient l’autorisation de tenir fief . Il était collateur d’une chapelle fondée par ses aïeux en l’église de Faucogney. Il épousa Marguerite Garnier, fille de M. Garnier et de Mlle Thierry, elle-même fille et héritière pour partie de Perrin Thierry et d’Isabelle de Courbessaint.
La famille de Courbessaint, d’ancienne noblesse, s’était éteinte à la fin du XVIIe siècle : ses héritiers furent les Henrion, par les Thierry, et les Junet. Jean Henrion, par son mariage avec Marguerite Garnier, captait donc une partie de l’héritage des Courbessaint, dont Chauvillerain et, probablement, Franchevelle. Cette union donnait un certain lustre aux Henrion, à tel point qu’elle les amena à adopter pour armes celles des Courbessaint.
En 1638, Jean Henrion « le jeune », probablement son fils, est seigneur de Magnoncourt.
Clément Henrion (v. 1663-1733)
Né vers 1663, Clément Henrion fut seigneur de Magnoncourt, Aillevillers, la Branleure, Fontaine, Belonchamp, Franchevelle, Quers et Chauvillerain. Il donna dénombrement pour sa terre de Franchevelle en 1720, dont il fait la reprise de fief en 1722.
La carrière de Clément Henrion fut marquée par le souci obsédant de justifier son appartenance à la noblesse, souci sans doute aiguisé par les avanies dont il eut à souffrir.
En mars 1697, il se porta acquéreur de lettres de noblesse mises en vente par Louis XIV . Le règlement d’armoiries délivré par d’Hozier le 29 du même mois les décrit ainsi : « un écu de gueules à un houseau ou botte armée et éperonnée d’or, timbré d’un casque de profil orné de ses lambrequins d’or et de gueules » , qui étaient les armes de son aïeule Courbessaint . Plus tard, les Henrion de Franchevelle ajouteront deux chevaux comme soutiens aux armoiries.
Ces lettres ayant été déclarées nulles, il fut anobli par de nouvelles lettres en 1706. Sans doute échaudé par cette expérience, il fit établir deux certificats attestant de sa noblesse : le 12 avril 1717, il obtint un certificat de notoriété des mayeurs, échevins et magistrats de la ville de Faucogney, attestant qu’il était « issu d’une famille très ancienne, vivant noblement et des plus distinguées de ladite ville, étant réputée pour noble, et ayant en cette qualité assisté quelquefois aux Etats qui se tenoient alors en ladite comté de Bourgogne, lequel possédoit les terres et seigneuries ci-dessus en toutes justices, haute, moyenne et basse, etc. ». Non content de ce certificat, il le fit confirmer le 20 avril suivant par Ferdinand, comte de Grammont, lieutenant général des armées du roi, qui lui exprima dans les termes suivants : « qu’en qualité de seigneur et baron de Faucogney, il avoit une entière connoissance que ladite ville de Faucogney avait été incendiée entièrement le 4 juillet 1674, que le feu sgr Jean-Baptiste Henrion, vivant seigneur de Magnoncour, Aillevillers, la Branleure et autres, qui estoit pour lors commandant de ladite ville, où il avoit une maison qui fut enveloppée par ledit incendie comme toutes les autres, y perdit tous ses meubles, titres et papiers concernant sa famille ; lequel vivoit fort noblement et a toujours passé et esté réputé pour noble dans la province, aussy que lui comte de Grammont l’avoit reconnu par des reprises de fiefs de ses susdites terres relevantes de la dite baronnie de Faucognez, tant par ledit feu sieur Jean-Baptiste Henrion que par ses autheurs ; que le Sr Clément Henrion son fils, à présent vivant, tient et possède les mesmes terres cy-dessus, ayant toujours pris le titre de noble et d’écuyer partout sans aucun obstacle ny opposition, que mesme le père dudit Sr Clément Henrion a esté mandé aux Estats de la noblesse pour lors se tenant au comté de Bourgogne ; ce que le comte de Grammont certifie véritable ». C’est probablement par crainte de voir sa noblesse à nouveau remise en cause qu’il se porta acquéreur d’une charge de conseiller maître ordinaire à la cour des comptes de Dole, le 27 octobre 1718, qu’il occupera jusqu’à la fin de sa vie. L’acquisition de cette charge permettait l’anoblissement de son acquéreur. Le 12 janvier 1683, Clément Henrion épouse Barbe-Marguerite Maillard, dame d’Esley, fille de Claude Maillard, écuyer, seigneur de Brousset et Rollecourt, et de Charlotte Bouillon. Il mourut en mai 1733, âgé d’environ 70 ans, laissant deux fils et deux filles. C’est à l’aîné, François-Alexis, qu’échut Franchevelle, tandis que le cadet, Jean-Baptiste, héritait de Magnoncourt, d’Esley, etc.
François-Alexis Henrion de Franchevelle
Né à Faucogney le 4 avril 1693, il épousa le 13 mai 1721 Anne-Alexandrine Lyautey de Colombe, née en 1702, dont ils n’eurent qu’une fille, Barbe-Marguerite. Il était alors seigneur de Franchevelle, Aillevillers, Chauvillerain, La Chaux, Mont et Lyaumont, La Branleure mais il semble qu’il demeurait à Vesoul.
Par arrêt du 31 juillet 1737 fut enregistrée sa patente de conseiller maître à la chambre des comptes de Dole . La même année, François-Alexis Henrion de Magnoncourt, écuyer, conseiller maître à la chambre des comtes de Dole, fit sa reprise de fief pour Franchevelle. En 1769, il est toujours « seigneur de Franchevelle et autres lieux », mais est alors conseiller honoraire .
De Clément Henrion, il a hérité de Franchevelle, mais aussi du fief d’Aillevillers, dont il est toujours propriétaire en 1747 . Il possède également à cette date un fief à Belonchamp . En 1751, François-Alexis Henrion de Franchevelle achète une portion de seigneurie à Brotte-lès-Luxeuil, des mains de François-Joseph marquis de Camus, seigneur de Filain . C’est également un membre de la famille Camus qui lui vend, en 1761, la seigneurie d’Artaufontaine , dont il donnera dénombrement l’année suivante .
C’est à lui que Mgr Laurent Ganganelli, le futur pape Clément XIV, offrit en 1741 la statue de sainte Vaudre.
Marie-Barbe Henrion
Le 25 juillet 1741, est célébré devant le curé de Quers le mariage de Marie-Barbe Henrion, âgée de 18 ans, avec François Gabriel Michel Joseph de Mailly, marquis de Châteaurenaud, fils d’Antoine et de Claudine-Françoise Martin, de Dole. Tous deux appartenaient à des familles fortunées . Leur union fut toutefois de courte durée, puisque le mari décéda à Dole en 1747, à l’âge de 26 ans, laissant un fils mineur, né en 1742.
En 1772 est citée « dame Marguerite(-Barbe) Henrion de Magnoncourt, douairière de messire Michel-Gabriel-François-Georges de Mailly, président de la chambre et cour des comptes […] à Dole, y demeurant, dame de Franchevelle, Artaufontaine et autres lieux » . En 1789, elle est dame en partie à Aillevillers et à Belonchamp .
C’est son fils Antoine Anne Alexandre Marie Gabriel Joseph François de Mailly, marquis de Châteaurenaud qui hérite de Franchevelle, dont il est seigneur en 1789.
Les armes des Mailly étaient de gueules au chevron burelé ondé d’argent et d’azur, accompagné de trois lys de jardin d’argent tigés d’or. Ces armoiries ont souvent varié dans le nombre des fasces ou burelles, ainsi que dans le détail des lys de jardin. Un ex libris de la famille montre l’écu flanqué de deux touffes de roseau et soutenu par deux cygnes. Les armes du couple sont présentes, de manière déformée, sur le socle de la statue de sainte Vaudre : les ondes qui strient le chevron des Mailly ont été omises, tandis que c’est une jambe nue qui est censée évoquer le cuissard éperonné des Henrion !
Ex-libris de M. de Mailly de Châteaurenaud
Les armes du couple Mailly-Henrion telles qu’elles apparaissent, erronées, sur le socle de la statue de sainte Vaudre (cl. F. Barassi)
VI. Antoine de Mailly, seigneur, philosophe des Lumières et révolutionnaire
Antoine Anne Alexandre Marie Gabriel Joseph François de Mailly est né à Vesoul le 25 novembre 1742 . Il est le fils de Joseph Michel François Gabriel Raphaël Xavier de Mailly de Châteaurenaud, seigneur de Châteaurenaud (près de Louhans), Surrigny, La Tournelle et Quintigny (Jura), second président à la cour des comptes de Dole, et de Barbe Marguerite Henrion de Magnoncourt de Franchevelle. C’est en faveur d’Antoine que la seigneurie de Châteaurenaud fut érigée en marquisat par lettres patentes de Louis XV en 1752, « en témoignage de confiance et d’estime mérité par sa naissance et les services rendus par ses ancêtres dans les Cours des provinces de Bourgogne et de Franche-Comté ». Le jeune marquis n’allait pourtant pas tarder à défier les institutions de la monarchie…
Après des études de droit à Besançon puis au collège d’Harcourt à Paris, il s’intéressa aux idées philosophiques nouvelles. Âgé de vingt ans seulement, il fréquenta Voltaire à Ferney dès 1762 et devint un temps son secrétaire sous le nom d’Esprit de Châteaurenaud. Le chancelier Maupeou le nomma avocat général à la cour des comptes de Dole puis député suppléant du bailliage d’Aval aux Etats généraux, où il remplaça le marquis de Lezay-Marnésia après les journées d’insurrection des 5 et 6 octobre 1789. Ses prises de position libérales n’empêchèrent pas les atteintes à ses biens lors de l’été 1789 : Madame de Mailly fut gravement insultée et molestée par les paysans de ses terres .
Ce n’était que le début de sa carrière politique : député de Saône-et-Loire à la Convention, il se prononça pour des mesures énergiques et vota la mort sans sursis de Louis XVI. En 1795, il passe au Conseil des Anciens, dont il est secrétaire jusqu’en 1798. De retour à Vesoul, il en devient maire le 12 avril 1800 et le demeure pendant douze ans. Il administra la ville avec beaucoup de soin, s’attachant par exemple à doter de fontaines chaque quartier.
Cet esprit éclairé, fils des Lumières, fut également un des fondateurs, avec le préfet Vergnes, de la Société d’Agriculture, Lettres, Sciences et Arts de la Haute-Saône en 1801, dont il fut également le premier président. Il possédait un élégant hôtel particulier à Vesoul, mais passait l’essentiel de sa vie privée en son château de Franchevelle.
Le 15 octobre 1768, il épousa Claude-Alexandrine de Damas, qu’il perdit après onze ans de mariage. Il se remaria ensuite à Anne Rosalie Receveur. Parmi les nombreux enfants issus de ces deux unions, peu survécurent :
- L’aîné, Aristide, destiné à une carrière consulaire, fut envoyé par Bonaparte en audience auprès d’Achmet-Djezzar, pacha de Saint-Jean-d’Acre, qui le fit décapiter au début de l’assaut donné par les troupes françaises, avant de faire jeter son corps à la mer.
- Son frère cadet, Minerve, aide de camp de Berthier et capitaine d’état-major, ayant reconnu le corps de son frère, se lança alors à l’assaut pour le venger, mais fut tué à son tour (1799).
- Resté célibataire, Enée-Casimir-Gustave mourut très âgé, en 1867, au château de Franchevelle où son frère Eugène était venu habiter avec lui et terminer sa longue carrière, quelques années auparavant.
- Claudine de Mailly épousa Jean-Baptiste Joseph, baron Bouvier, auquel elle donnera deux enfants : seul Joseph survit, mais resta célibataire.
VII. Les barons Bouvier, père et fils
Jean-Baptiste-Joseph Bouvier découvrit Franchevelle grâce à son mariage en 1801 avec Claudine Marguerite de Mailly de Chateaurenaud, l’aînée des filles d’Antoine de Mailly, issue de son premier mariage avec Claude-Alexandrine de Damas. Né à Vesoul le 9 avril 1770, il était le fils d’un négociant originaire de Poligny, Claude-Joseph Bouvier, qui s’était installé à Vesoul où il était conseiller municipal. Après des études de droit, il renonça à une carrière d’avocat pour entrer le 1er avril 1793 à l’école du génie de Mézières, avec le grade de sous-lieutenant. En quelques mois, il devint lieutenant (1er août 1793), puis capitaine (16 décembre 1793). En août 1794, lors du siège du Quesnoy, il fut blessé à la tête et à la main et son cheval fut tué sous lui. Ses blessures ne l’empêchèrent pas de poursuivre brillamment sa carrière militaire : on le retrouve dans l’armée d’Italie en l’an V, puis dans celle d’Helvétie en l’an VI, avant de gagner l’armée d’Italie puis celle des Côtes, où il fut nommé chef de bataillon en 1803. Promu colonel le 7 octobre 1810, il se distingua au siège de Tarragone, au cours duquel il mena avec audace et courage une colonne d’attaque qui s’empara de la ville basse et contraignit la ville haute à se rendre huit jours plus tard. Cette prouesse lui valut d’être nommé officier de la légion d’honneur et fait baron d’Empire par Napoléon en 1810. Lors de la retraite de Russie, il fut tué par un boulet alors qu’il s’engageait dans le passage d’un ravin gardé par les Russes près de Krasnoïe le 18 novembre 1812.
Les lettres patentes du 14 avril 1810 décrivent les armoiries accordées alors à Jean-Baptiste-Joseph Bouvier : écartelé : au 1er, d’or à une croix ancrée de gueules ; au 2ème, des barons militaires , au 3ème, d’azur à cinq étoiles d’argent en sautoir, au 4ème d’or à un drapeau en bande de gueules monté d’argent . L’épée et le drapeau font allusion à la carrière militaire du baron. Le premier quartier est identique aux armes de la prestigieuse famille de Damas, à laquelle appartenait la belle-mère du baron Bouvier. Il peut paraître curieux de les voir ainsi apparaître dans l’écu du baron… Les armoiries des Bouvier se voyaient sur une des cloches de l’église.
Les armes concédées au baron Bouvier
A la mort du premier baron, son fils Claude Joseph Hippolyte hérita du titre et du château de Franchevelle. Né à Vesoul le 27 février 1802, il y étudia au lycée, avant de poursuivre à son tour une carrière dans les armes (en 1830, il fut nommé commandant de la garde nationale de cette ville), doublée d’une carrière politique (adjoint au maire, il fut élu conseiller général). Son grand dévouement lors de l’épidémie de choléra lui valut la Légion d’honneur. Dans son testament daté du 5 juin 1856, il légua à sa ville natale des biens importants (dont les bâtiments de l’ancien couvent des Annonciades) ainsi que la plus grande partie de sa fortune. Resté célibataire, il partageait son temps entre Vesoul et Franchevelle, où il décéda le 4 mars 1876.
VIII. Franchevelle : économie et société
Il est difficile de saisir dans leur continuité les évolutions économiques et sociales qui ont façonné la vie à Franchevelle au cours des siècles : les documents sont rares, et les êtres humains ne se laissent pas facilement enfermer dans les statistiques. Seule une étude approfondie en archives permettrait de mieux connaître et restituer l’histoire de la population. En attendant, nous proposons quelques jalons.
Au XVe siècle : une communauté paysanne favorisée
A la fin du Moyen Age, Franchevelle apparaît comme une communauté villageoise plutôt prospère. Dans l’enquête réalisée en 1415, rappelons que Franchevelle figure parmi les « cinq plus grosses villes, plus riches et plis aisiez de ladicte Terre, assises et scituées en bon pais et grais, en bon terrein où vient froment et touz blefs, en bon vignoble et ont grant quantité de bois portans glans en temps de paisson lesquelx bois les habitans des dictes ville ont droit de pasturer tant en leurs bois et communaulx qu’es bois de Monseigneur, pour ung denier par porc dont tous les ans les habitans proufitent moult et sont riches » .
Au XVIe siècle : un certain recul ?
La prévôté de Faucogney comptait plus de 80 communautés villageoises, dont les noms nous sont connus par grâce à une liste établie à l’occasion du « don gratuit », levé en Franche-Comté en 1535-1537 . Chaque localité est suivie de la somme à payer, en francs comtois.
Les quatre villages de la paroisse de Quers sont cités :
- Quers : 62 F
- Citers : 104 F
- Franchevelle : 40 F
- Linexert : 17 F
… ainsi que les villages proches :
- Dambenoît : 59
- Adelans : 64
Sans être le plus pauvre, Franchevelle apparaît donc comme un village aux moyens assez modestes.
Les horreurs du XVIIe siècle
En 1614, le village compte 20 ménages . La Guerre de Dix Ans (1634-1644), avec son cortège de destructions, de famines et de peste, réduit dramatiquement la population du village : en 1654, il ne subsiste que trois ménages à Franchevelle :
- Nicolas Louvot
- Jean-Claude Guillenet
- François Lamboley
En 1657, le village se repeuple modestement, avec 5 ménages . Les habitants sont déclarés par François Lamboley qui, avec Jean-Claude Guillenet, est le seul chef de famille déjà présent trois ans plus tôt. Parmi les nouveaux venus, on note l’installation d’une famille de Lorrains venus repeupler le village :
- François Lamboley (8 personnes)
- Claude Maucaillot (5 personnes)
- Jean Toussains, Lorrain, résidant (5 personnes)
- Jean-Claude Guillenet (5 personnes)
- « Une femme nommée Alix, demeurant chez Guillenet » (1 personne)
- « Denise, la mercière »
On obtient donc une demi-douzaine de ménages, soit 26 personnes. La paix revenue, l’accroissement démographique de Franchevelle se confirme au XVIIIe siècle.
Le « beau XVIIIe siècle »
Si au cours du XVIIIe siècle, la commune poursuit sa reprise démographique (en 1790, la commune compte 445 habitants), celle-ci s’accompagne d’une plus grande prospérité : à la veille de la Révolution, Franchevelle forme une communauté paysanne qui s’est enrichie :
En 1729, les impositions royales prélevées s’élevaient à 71 livres : elles passent à 258 livres, 13 sols, 6 deniers en 1780.
Si les cultures procurent l’essentiel des revenus , l’élevage n’est pas absent : le village compte alors 6 juments, 106 bœufs, 61 vaches, 50 veaux et génisses, 40 porcs, 45 moutons et brebis. Le ou les étangs sont taxés à hauteur de 12 livres, 2 sols, 9 deniers ; l’étang de la chapelle Saint Antoine est un bien d’Église, affermé par le chapelain.
Si l’agriculture, l’élevage et la pisciculture sont bien présents, on note également que l’activité des moulins est taxée pour 3 livres et 7 sols et l’ « industrie », c’est à dire l’artisanat, pour 60 livres.
Le XIXe siècle : embellissement et modernité
Au XIXe siècle, la commune atteint son maximum démographique : 572 habitants en 1841 ! C’est vers la fin du siècle que la population commencera lentement à décliner .
Cet accroissement s’accompagne d’une modernisation de l’économie : le 3 juin 1831, une ordonnance royale datée de Saint-Cloud autorise le sieur Jacquet à construire un moulin sur le territoire de la commune et à « dériver du ruisseau de Rignovelle les eaux nécessaires au jeu de cette usine » . Il y aura jusqu’à trois moulins à Franchevelle . C’est également à Franchevelle que s’installe le premier industriel laitier (fromagerie) du département de la Haute Saône, à la fin du XIXe siècle .
Cette époque du maximum démographique rend nécessaire la construction ou l’agrandissement des bâtiments publics existants : l’église est rebâtie en 1849, et le sanctuaire est entièrement recouvert de boiseries en chêne sculpté par Bloch de Montbéliard, en 1864.
L’école est bâtie en 1910.
Les transformations du XXe siècle
Comme toutes les communes rurales de France, Franchevelle connaît d’importants bouleversements au XXe siècle : deux guerres mondiales, un lent déclin démographique enrayé en fin de siècle par la construction de lotissements et l’arrivée de nouveaux habitants, mais aussi arrivée de l’eau courante, de l’électricité, puis du téléphone et de l’informatique…
L’histoire récente de Franchevelle n’est pas encore dans les livres, elle est inscrite dans son quotidien et dans la mémoire de tous les habitants qui ont connu et vécu ces mutations. Mais ceci est une autre histoire…
Historique réalisé par Nicolas VERNOT
Chargé de cours à l’université Membre associé de l’Académie Internationale d’Héraldique
44 Rue Chantepuits 95220 HERBLAY
vernotnicolas@gmail.com